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Scanner pour mieux jouer : quand l’information devient l’arme invisible du joueur intelligent

Sur une glace ou sur un terrain de façon générale, le jeu se déroule à une vitesse vertigineuse. Les espaces se ferment, les lignes se déplacent, les opportunités apparaissent et disparaissent en une fraction de seconde. Dans cet environnement mouvant, ce qui distingue les meilleurs n’est pas toujours la puissance du tir ou la vitesse de patinage mais la vitesse de prise de décision.
Et cette vitesse d’analyse repose sur une compétence souvent invisible : la capacité à scanner son environnement.

La boucle d’action : penser avant d’agir

Tout joueur vit, à chaque instant, un cycle décisionnel que l’on peut résumer en trois étapes simples :

  1. Rassembler l’information (Perception)
  2. Analyser et décider
  3. Exécuter (Action)

Ce triptyque, appelé « boucle d’action » ou « couplage perception-action », structure toutes les actions de jeu, du dégagement défensif à la passe décisive en passant par le moindre déplacement.
Or, la première étape (rassembler l’information) conditionne logiquement la qualité des deux suivantes. Si le joueur ne “voit” pas le jeu, il ne peut ni anticiper ni exécuter efficacement. C’est ici qu’entre en scène la notion de scanning.

Qu’est-ce réellement que le scanning ?

Le scanning désigne l’action de regarder autour de soi pour collecter des informations avant d’agir avec ou sans le palet ou le ballon.
Mais attention : il ne s’agit pas simplement de “regarder”. Le joueur doit chercher des informations pertinentes = la position d’un adversaire, la disponibilité d’un coéquipier, l’espace libre le plus prometteur, la pression qui approche et comment, etc.

En d’autres termes : le scanning n’est pas un geste mécanique, c’est une stratégie cognitive.
Et dans le sport de haut niveau, le joueur qui “voit” le mieux a souvent une longueur d’avance.

Le jeu dans le jeu : une compétition d’informations

Geir Jordet, chercheur norvégien et pionnier de la recherche sur le scanning dans le football, le résume ainsi :

Depuis la fin des années 1990, Jordet et ses collaborateurs ont étudié des centaines de matchs, des U17 jusqu’à la Premier League. Leurs résultats sont sans équivoque :

  • Les milieux centraux sont les plus gros scanners (0,53 scan/seconde), loin devant les attaquants (0,28).
  • Les joueurs les plus performants (taux de passes réussies élevé, jeu plus rapide) sont aussi ceux qui scannent le plus fréquemment.
  • Un joueur du groupe “haut” (forte fréquence de scans) affiche 81 % de passes réussies, contre 64 % pour un “faible scanner”.

Autrement dit, plus un joueur regarde autour de lui avant d’agir, plus il joue juste.

Le cas Kevin De Bruyne : la vision à 360°

L’un des exemples les plus parlants est celui de Kevin De Bruyne, ex-maestro de Manchester City.
Durant un match de Ligue des Champions, Jordet et son équipe ont suivi ses mouvements de tête en permanence. Résultat :

  • 0,45 scan/seconde avant de recevoir le ballon, soit 4 à 5 scans toutes les 10 secondes.
  • Il maintient cette fréquence même sous forte pression, là où la majorité des joueurs cessent de regarder autour d’eux.
  • Il re-scanne très tard, parfois au moment même où le ballon arrive.
  • Lorsqu’il n’a pas pu scanner avant la réception, il rejoue immédiatement en retrait, signe d’une conscience aiguë de son propre “niveau d’information” défaillant.

Cette lucidité réflexive (savoir quand on sait, et quand on ne sait pas) est une marque des très grands joueurs.

Scanning, anticipation et posture corporelle

Les études de Karl Marius Aksum prolongent ces constats : plus un joueur scanne, plus il oriente son corps vers l’avant au moment de recevoir la balle. Une posture ouverte qui lui permet :

  • de voir davantage d’espace utile, libre
  • de jouer plus vite,
  • et d’anticiper les pressions adverses.

Les joueurs de Premier League, par exemple, se distinguent non seulement par la fréquence de leurs scans, mais aussi par leur orientation corporelle proactive, bien plus ouverte que celle de joueurs amateurs.

En résumé : voir, c’est anticiper ; s’orienter, c’est se préparer à agir vite.

Quand l’habitude se forge tôt : les exemples Lampard et Xavi

Plusieurs grands joueurs ont développé cette compétence dès l’enfance.
Frank Lampard raconte que son père, depuis les tribunes, lui criait un seul mot :

Autrement dit : forme-toi une image mentale avant de recevoir le ballon !

Même obsession chez Xavi, le métronome du Barça :

Xavi scannait jusqu’à 0,83 fois par seconde. Et, détail fascinant : chaque fois qu’il n’avait pas scanné avant de recevoir, comme De Bruyne, il remettait la balle en arrière. Le lien entre information et initiative est encore une fois total.

Transposer au hockey : « lire la glace » avant d’y agir

Pour les entraîneurs de hockey, la leçon est claire.
La glace est un espace restreint, où le temps de décision se mesure en dixièmes de seconde.
Les joueurs qui scannent vont donc souvent :

  • anticiper les pressions,
  • trouver les passes cachées,
  • et adapter leur exécution plus rapidement.

Inversement, ceux qui jouent “tête dans le guidon” deviennent prévisibles et faciles à presser.

Or, développer cette compétence nécessite un double entraînement :

  1. Technique : améliorer la maîtrise du palet pour libérer l’attention.
  2. Cognitive : instaurer l’habitude de lever la tête, d’analyser avant chaque contact.

Former le réflexe du regard : apprendre à “voir avant d’avoir”

Comme l’apprentissage de la sécurité routière, on peut enseigner le scanning très tôt.
Les jeunes joueurs doivent être encouragés à regarder avant de recevoir, jusqu’à ce que ce geste devienne un réflexe automatique.

Quelques leviers concrets :

  • Jeux réduits et dynamiques : les petits espaces favorisent l’attention et la lecture des trajectoires.
  • Feedback verbal systématique : “Qu’as-tu vu ?” devient une question clé du coach.
  • Échauffements et passes simples : même dans les routines, encourager la rotation du regard par le jeu.
  • Travail vidéo : montrer comment les grands joueurs “lisent” le jeu, avant même d’y participer.

Scanning et prise de décision : la boucle est bouclée !

L’ancien entraîneur d’Arsenal, Arsène Wenger, distingue deux étapes :

  1. Scanner pour collecter l’information.
  2. Décider en fonction de la qualité de cette information.

Puis vient la deuxième étape :

Cette articulation entre perception, décision et exécution est le cœur de la performance intelligente.

Au delà du scanning en lui-même et pour encore davantage de précisions sur ce sujet, l’article « Attentional focus and motor learning : a review of 15 years » de Gabriele Wulf fait un bilan des recherches menées au cours des quinze dernières années sur le sujet de l’attention et son rôle dans l’apprentissage moteur. Voici un résumé et une explication détaillée des principaux points que l’auteur aborde :


1.⁠ ⁠Wulf introduit le concept de « focalisation de l’attention », qui se réfère à l’orientation de l’attention d’un individu lors de l’exécution d’une tâche motrice. Elle distingue deux types de focalisation :

  • Focalisation interne : L’attention est centrée sur les mouvements du corps ou les processus internes (par exemple, penser à la manière de lever un bras).
  • Focalisation externe : L’attention se concentre sur l’effet du mouvement sur l’environnement (par exemple, viser un objet ou un but).

2.⁠ ⁠La recherche de Wulf montre que la focalisation externe est généralement plus bénéfique pour l’apprentissage moteur que la focalisation interne. Les performances des individus sont souvent meilleures lorsqu’ils se concentrent sur l’environnement plutôt que sur leurs mouvements internes.

Wulf explore ainsi les mécanismes psychologiques et neurologiques qui pourraient expliquer pourquoi une focalisation externe est plus efficace.

Il suggère que la focalisation externe facilite la performance car elle peut réduire la charge cognitive et permettre un meilleur automatisme des mouvements.

3. En pratique l’article explique les conséquences de ces résultats, notamment dans des domaines tels que le sport, la réhabilitation et l’enseignement des compétences motrices. Wulf souligne l’importance d’adopter des stratégies d’entraînement qui favorisent la focalisation externe pour améliorer l’efficacité de l’apprentissage.
Il conclut en suggérant que des recherches futures devraient continuer à explorer les nuances de la focalisation de l’attention, notamment le contexte, les variations individuelles et l’interaction entre la focalisation de l’attention externe et interne.

Détails supplémentaires :

•⁠ ⁠Comme exemples concrets, Wulf utilise divers exemples de la recherche en sport pour illustrer ses points, comme la performance de gymnastes ou de joueurs de tennis, montrant comment des instructions qui encouragent une focalisation externe (ex. « pensez à frapper la balle plutôt qu’à comment tenir la raquette ») améliorent leurs performances.

•⁠ ⁠Évidences expérimentales : L’article soulève plusieurs études qui soutiennent ses affirmations. Par exemple, des expériences où les participants qui ont reçu des instructions favorisant la focalisation externe ont établi des performances plus précises et une meilleure coordination par rapport à ceux qui ont reçu des instructions de focalisation interne.

•⁠ ⁠Application dans d’autres domaines : Wulf mentionne également que la recherche sur la focalisation de l’attention peut aussi s’appliquer à des domaines tels que la psychologie, la neurologie, et la réhabilitation, où il est crucial d’optimiser l’apprentissage et la récupération des compétences motrices.

Conclusion :

En conclusion : la prochaine frontière du développement

Aujourd’hui, le scanning n’est plus un détail esthétique, mais une compétence fondamentale.
Il révèle non seulement la compréhension du jeu, mais aussi le potentiel d’un joueur à évoluer vers le haut niveau.

Les entraîneurs les plus clairvoyants ne demandent plus :

Combien de passes réussies a-t-il faites ?
Mais plutôt :
Combien d’informations a-t-il collectées avant de faire sa passe ?

Car dans le hockey comme dans le football, le vrai jeu se joue avant la réception du palet.
Et dans cette fraction de seconde, celui qui voit le plus loin joue déjà dans le futur.

L’article de Gabriele Wulf apporte une contribution significative à la compréhension de cette efficacité en démontrant que la focalisation de l’attention influence concrètement l’apprentissage moteur. Cette revue des quinze dernières années de recherches offre une perspective éclairante sur un aspect fondamental de la psychologie de l’apprentissage, avec des implications pratiques sur la manière dont nous enseignons et apprenons des compétences motrices, insistant donc, si besoin était, sur l’importance de l’apprentissage du scanning dès le plus jeune âge.

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