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AIO Performance

Pendant longtemps, on a cru qu’il existait une façon « parfaite » de bouger. Les coachs répétaient inlassablement la même technique aux athlètes, en corrigeant chaque détail… encore en encore.

La recherche a depuis montré que cette idée était fausse. Les meilleurs ne bougent pas toujours de la même façon, au contraire même : ils varient sans cesse, s’adaptent au besoin de l’instant et réussissent quand même !

La variabilité n’est pas une erreur, c’est la clé. C’est ce qui rend les athlètes créatifs, résistants et capables de réagir aux imprévus.

Le rôle du coach n’est donc plus de corriger l’exécution, mais de créer des contextes qui poussent les joueurs à explorer, à s’adapter et à inventer leurs propres solutions.

En clair :

  • Il n’y a pas une bonne technique universelle.
  • Chaque athlète a plusieurs chemins possibles.
  • Le sport n’est pas une échelle où on monte barreau par barreau, mais un labyrinthe où on explore et on découvre son propre itinéraire.

C’est un changement radical : au lieu de contraindre, on libère. Au lieu de normaliser, on valorise la diversité des mouvements.

Coaching au-delà du mythe de la « technique recommandée »

Depuis près de 75 ans, la biomécanique a véhiculé un mythe : celui d’une façon « correcte » de bouger. On pensait qu’il existait une technique optimale, qu’il suffisait de répéter des milliers de fois pour la maîtriser parfaitement. Cette croyance a modelé l’entraînement sportif partout dans le monde : exercices standardisés, corrections permanentes, et volonté de transformer les athlètes en copies conformes d’un modèle idéal.

Pourtant, la recherche scientifique a progressivement remis en cause cette vision. Des pionniers comme Nikolai Bernstein (dès les années 1930) ont montré que les experts n’étaient pas mécaniquement « identiques » d’un mouvement à l’autre : leurs gestes étaient variables mais les résultats restaient constants. Il a introduit la fameuse idée de la « répétition sans répétition », et posé le problème des « degrés de liberté » (la multitude de façons possibles de coordonner le corps).

À partir des années 1940, James J. Gibson a proposé une approche écologique de la perception : nous n’agissons pas en suivant des consignes internes abstraites, mais en réagissant directement aux possibilités offertes par l’environnement (les affordances).

Michael Turvey (vers 1978) a poursuivi en expliquant que les muscles et articulations pouvaient se coordonner en « structures fonctionnelles » pour résoudre la complexité du mouvement. Karl Newell (dans les années 1980) a quant à lui posé les bases de « l’approche par contraintes », en soulignant que la coordination dépend de l’interaction entre l’organisme, la tâche et l’environnement.

Dans les années 1990, les travaux de Gabrielle Wulf ont montré l’importance cruciale de l’attention : se concentrer sur l’effet du geste (focus externe) favorise bien plus l’apprentissage et la performance que de se focaliser sur son corps (focus interne).

À la même époque, Wolfgang Schöllhorn a proposé « l’apprentissage différentiel » : au lieu de répéter une seule technique correcte, l’athlète s’entraîne en variant volontairement ses mouvements. L’objectif n’est pas la reproduction parfaite, mais le développement de l’adaptabilité.

Au début des années 2000, Keith Davids et ses collègues ont fusionné ces idées en une approche globale, la dynamique écologique : une vision où la variabilité n’est pas une erreur à corriger mais une ressource essentielle. Ils ont aussi introduit la notion de pédagogie non linéaire, où l’entraînement ne suit pas un chemin unique et prévisible, mais explore différents scénarios de jeu.

Mark Latash (2012) a popularisé le concept « d’abondance motrice » : le fait que notre corps dispose d’innombrables solutions possibles pour une même action, et que cette richesse est précisément ce qui nous rend adaptables.

Des chercheurs et praticiens comme Rob Gray ont ensuite traduit ces théories complexes en outils accessibles pour les coachs : podcasts, livres et cadres d’apprentissage pour concevoir des séances proches de la réalité du jeu.

Plus récemment, Madhur Mangalam (2025) a publié une critique radicale des paradigmes traditionnels d’optimisation en biomécanique, démontrant que le mouvement humain n’est ni optimal ni prédéterminé, mais toujours émergent, variable et contextuel.


Le message central

L’ensemble de cette recherche à travers les années converge vers une conclusion claire :
1. Le mouvement ne s’enseigne pas comme une recette figée.
2. L’efficacité d’un athlète ne repose pas sur la reproduction d’un modèle idéal, mais sur sa capacité à s’adapter, varier et interagir avec son environnement.

Ainsi, continuer à entraîner « à l’ancienne » — avec des répétitions stéréotypées et un contrôle rigide des gestes —, c’est ignorer des décennies de science. Pour les auteurs, c’est presque comparable à un chirurgien qui refuserait d’appliquer les avancées médicales modernes.


Une opportunité pour les sports émergents

Beaucoup d’entraîneurs perpétuent ces méthodes traditionnelles simplement parce qu’ils ont eux-mêmes appris ainsi. Mais certains sports et certains éducateurs ont le courage de ne plus être prisonniers de cette tradition en s’appuyant directement sur les approches écologiques :

  • concevoir des séances qui ressemblent au jeu réel,
  • stimuler l’adaptabilité et la créativité,
  • former des athlètes capables de réagir à l’imprévu.

L’avenir de l’entraînement ne réside pas dans la correction et la répétition, mais dans la variabilité, l’exploration et la construction de contextes d’apprentissage vivants.


En résumé, les coachs sont invités à reconnaître que le « vieux modèle » est erroné et qu’en adoptant une pédagogie moderne, fondée sur la science, qui met en avant la richesse du mouvement plutôt que sa normalisation, leur chance de produire des athlètes de qualité augmente.

Kathy Sierra résume la situation de façon percutante :
« La biomécanique correcte est morte. »

Attention : il ne s’agit pas de dire que la biomécanique ne sert plus à rien. Au contraire, c’est une discipline essentielle. Ce qui disparaît, c’est le mythe d’une façon « correcte », « idéale » ou « optimale » de bouger.


Pourquoi « la seule bonne manière » devait disparaître ?

Pendant des décennies, on a enseigné aux entraîneurs, préparateurs et kinés que la clé de la performance était la « technique correcte ». Si tu bougeais « comme il faut » tu étais efficace, puissant et à l’abri des blessures. Si tu ne le faisais pas, tu étais « dans le faux », inefficace ou fragile.

Mais c’est justement la biomécanique elle-même qui a mis fin à ce mensonge :

  • Nikolaï Bernstein : les joueurs experts ne répètent jamais le même mouvement. Ils obtiennent un résultat constant grâce à la variation.
  • Wolfgang Schöllhorn : a bâti tout un cadre d’entraînement (Differential Learning) sur la variabilité.
  • Nicholas Stergiou (2016) : dans un TED Talk, il montre que la variabilité n’est pas un bruit gênant, mais le signe même de l’adaptabilité.
  • Madhur Mangalam (2025) : dans The Myth of Optimality in Human Movement Science, il démontre avec force que le mouvement humain n’est pas optimal mais émergent, contextuel et variable.

Bref, la biomécanique remet en cause la biomécanique.


La biomécanique reste fondamentale

Il ne faut pas se tromper : la biomécanique reste indispensable pour comprendre les forces, les leviers, les articulations, la prévention des blessures et ce qui est physiquement possible.

Ce qui est mort, c’est l’idée qu’il existe un seul modèle biomécanique idéal que tous devraient copier. Aujourd’hui, la science démontre au contraire qu’il existe une multitude de solutions efficaces.


La variabilité n’est pas un défaut, c’est le superpouvoir

Pensez aux meilleurs patineurs, dribbleurs ou passeurs que vous avez vus : leurs gestes ne sont pas identiques, et pourtant ils sont tous très performants.

  • La variabilité leur permet de s’adapter à un palet dévié, à une trajectoire imprévu, ou à la réaction d’un adversaire.
  • Elle les protège aussi des blessures, en leur offrant des solutions alternatives quand le « chemin habituel » n’est pas disponible.

C’est ce que Sierra appelle la félicité de l’abondance motrice : notre corps n’a pas une seule bonne réponse, mais une infinité de possibilités.


Conséquences pour les coachs, parents et joueurs

  • Coachs : ne soyez plus les « policiers de la technique ». Devenez plutôt des architectes de contextes, en créant des environnements où l’exploration, l’adaptation et la créativité peuvent émerger.
  • Parents : ne paniquez pas si votre enfant ne ressemble pas à l’image du manuel. Ce qui compte, c’est sa capacité à s’adapter dans le chaos du jeu réel.
  • Joueurs : si vous êtes bloqués, ce n’est pas parce que vous êtes « dans le faux », mais parce qu’on vous a fait grimper une échelle qui n’existe pas. Il vous faut trouver votre chemin dans le labyrinthe… patience !

Conclusion

La « biomécanique correcte » a rendu des services, mais son temps est révolu.
Aujourd’hui :

  • on ne copie plus, on crée ;
  • on ne craint plus les erreurs, on explore ;
  • on ne cherche plus la perfection figée, on cultive l’adaptabilité.

La biomécanique n’est pas morte. Elle a évolué. Et pour les coachs, les parents et les athlètes, c’est vraiment une excellente nouvelle.

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