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AIO Performance

Dans de nombreuses patinoires, on voit les mêmes scènes : des enfants alignés, dribblant entre des cônes sous les ordres d’adultes qui orchestrent des exercices parfaitement chorégraphiés. Chaque geste est contrôlé, chaque passage minuté. Ces séances bien ordonnées rassurent entraîneurs et parents : pas de désordre, pas d’imprévu, pas de “chaos”.
Mais cette quête d’ordre cache peut-être une erreur fondamentale. Et si la priorité donnée aux “bases techniques” avant le jeu empêchait en réalité les joueurs de vraiment progresser 🤔 ?

Le cas du hockey en France

Il est difficile de comprendre comment la culture du jeu peut être si absente du hockey sur glace français. Football, basketball, volleyball, handball, rugby… dans tous ces sports, la France figure depuis de nombreuses années parmi les meilleures nations mondiales, tant chez les hommes que chez les femmes. Et malgré quelques difficultés soulevées parfois par certaines de ces fédérations, une véritable culture du jeu y est bien présente. Or, lorsqu’on observe et analyse le contenu des entraînements des enfants et des jeunes en hockey sur glace en France, le constat est sans appel : le jeu n’est ni pratiqué ni développé. Les joueurs n’acquièrent pas les habilites nécessaires, car les différents « skills » ne sont pas intégrés au contexte de jeu et les exos qui y sont liés sont trop peu nombreux.

On gaspille du temps et de l’énergie à se concentrer sur des aspects totalement superflus qui ne contribuent en rien au développement des enfants. De plus, trop d’entre eux se tournent inévitablement vers d’autres loisirs, car le hockey sur glace n’est ni amusant ni même plaisant pour eux.

Le mythe des “fondamentaux d’abord”

L’idée selon laquelle il faut maîtriser les bases avant de jouer semble pleine de bon sens. Pourtant, des recherches récentes remettent ce principe en cause. Une étude de Yang et al. (2025) a comparé deux groupes de débutants apprenant à faire des passes au football.

Le premier groupe suivait une pédagogie linéaire (exercices répétitifs, consignes fixes, gestes isolés).

Le second adoptait une pédagogie non linéaire (tâches variées, contraintes changeantes, situations proches du jeu).

Résultat : les joueurs formés de manière non linéaire progressaient plus vite et conservaient leurs acquis plus longtemps. Quatre semaines après l’arrêt de l’entraînement, leurs compétences restaient stables, tandis que celles du groupe “fondamentaux d’abord” avaient nettement régressé.

Autrement dit, même chez des débutants, la pratique “contextualisée” s’avère plus efficace que les répétitions mécaniques.

L’adaptabilité, le véritable fondement

Ce que révèle cette recherche, c’est que l’adaptabilité (la capacité à s’ajuster à des situations changeantes) est la véritable base de toute compétence sportive.
Les joueurs qui apprennent à réagir à la complexité du jeu développent non seulement leur technique, mais aussi leur prise de décision, leur créativité tactique et leur confiance sous pression. À l’inverse, les exercices figés produisent des automatismes fragiles qui s’effondrent dès que le contexte change.

Des approches comme la théorie de la dynamique écologique, la Constraints-Led Approach (CLA) ou encore l’apprentissage différentiel vont toutes dans ce sens : c’est dans l’instabilité que se construit la compétence durable.

À quoi ressemble un entraînement “chaotique” ?

Rejeter la logique “fondamentaux d’abord” ne signifie pas renoncer à toute structure. Il s’agit plutôt de concevoir des séances représentatives du jeu réel, où chaque action implique une décision.


Quelques exemples :

  • Des jeux réduits à effectifs déséquilibrés (3 contre 2, 2 contre 3) pour stimuler la prise d’initiative.
  • Des circuits de passes perturbés par des défenseurs ou des règles qui changent en cours d’action.
  • Des tâches différentielles (espaces modifiés, contrainte temporelle…) pour pousser les joueurs à inventer de nouvelles solutions.

Pour les débutants les moins à l’aise, on peut réduire la complexité (plus d’espace, moins d’adversaires), mais sans jamais supprimer le contexte de jeu.
L’objectif n’est plus la perfection technique isolée, mais la capacité à percevoir, agir et s’adapter.

Les débuts sont souvent déroutants : les joueurs comme les entraîneurs perdent leurs repères.
Certains diront “C’est le bazar”, “On ne progresse pas”.
Mais cette phase de désordre est normale — elle fait partie du processus.
Rapidement, on voit émerger des comportements nouveaux : des prises d’initiative, des solutions créatives, des échanges plus vivants.

L’entraînement devient un laboratoire d’adaptation, pas une simple répétition.

Aucun cône. Peu de discours. Beaucoup d’observation, d’adaptation, de décisions.

Mesurer autrement la progression

Abandonner les cônes, c’est aussi repenser la manière d’évaluer les progrès.
Au lieu de compter les passes réussies ou la vitesse d’exécution, on peut mesurer :

  • L’adaptabilité : comment un joueur s’ajuste quand les règles changent ?
  • La qualité des décisions : choisit-il mieux et plus vite au fil du temps ?
  • La rétention : quelles compétences persistent après une pause ?
  • La variabilité des solutions : sa capacité à résoudre un problème de plusieurs manières ?

Ces indicateurs, recommandés par la recherche en apprentissage moteur, évaluent la performance durable, pas seulement la précision immédiate.

Conclusion : le courage du désordre

Les exercices parfaitement rangés donnent l’illusion du progrès. Les lignes sont nettes, les gestes propres, les erreurs rares. Mais la propreté n’est pas l’apprentissage.
Le vrai progrès naît dans le désordre maîtrisé, celui du jeu, où chaque situation exige une adaptation.
Les “vrais” entraîneurs ne fuient pas le chaos : ils le cultivent. Car c’est dans ce désordre que les joueurs deviennent non pas de simples exécutants, mais des penseurs du jeu, capables d’improviser, d’ajuster et de créer.

Les méthodes d’enseignement traditionnelles et désuètes sont sans doute encore trop ancrées dans le quotidien des coachs. Le monde évolue, et le coaching efficace aussi. La curiosité et le désir d’apprendre sont essentiels à cette évolution, en France comme ailleurs.

Sources : « Design the game », Kevin Mulcahy, CLA & Coaching Performance, 29/10/2025

                « 3 Logic Traps Coaches Fall Into When Debating “Traditional” vs. “Ecological” »,   

                  et « Real coach train in chaos, not cones » Rolf GOTZ, Substack, 4/11/2025 et  

                 7/09/2025

              « The Secret War Over How Humans Actually Learn », Sam Elsner, 4/11/2015

             « Do We Coach ‘Actions to be Performed,’ or ‘Problems to be Solved?’ », Nick

               Smallridge, 11/10/2025

Comments

  • Ari
    reply

    Excellente compilation de différents articles et malheureusement en lien direct avec la réalité actuelle du hockey français…. comme quelqu’un l’a dit avec intelligence et simplicité…

    ” Écoutez bien, entraîneurs de jeunes /enfants: chaque action de jeu réelle ou dans le contexte du jeu, même imparfaite, vaut mieux que dix exercices impeccables avec des cônes. Concentrez-vous sur la conception et contenu d’entraînements efficaces et non sur des mises en scène. Les enfants méritent mieux ” 💪 👊 😎

    8 novembre 2025

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